L'écrivain et parolier Jacques Lanzmann est mort à Paris, mercredi 21 juin, à l'âge de 79 ans. Il était l'auteur de nombreux best-sellers et des textes des chansons les plus connues de Jacques Dutronc.
On n'en finirait plus d'énumérer ses vies : conteur, peintre, aventurier, mineur au Chili, globe-trotteur, journaliste, auteur de chansons, scénariste, romancier..., Jacques Lanzmann s'est toujours refusé à suivre les chemins tout tracés, promenant à travers le monde son inépuisable appétit de vivre.
Né le 4 mai 1927 à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine) d'un père décorateur et d'une mère antiquaire, il est placé, à 12 ans, comme valet de ferme, puis, en 1943, rejoint son père dans le maquis auvergnat. De ces années datent ses premières grandes marches, "lors des coups de main contre les Allemands ou les miliciens", ainsi que son inlassable besoin de bouger et de courir le monde.
Après la guerre, il abandonne la carrière de peintre à laquelle il se destinait pour bourlinguer. Il aime les grands espaces, "les immensités qui sentent le soufre, le danger". Sa devise : "Si tu veux te trouver, commence par te perdre." En 1985, il est le premier Occidental à réaliser la liaison Lhassa (Tibet)-Katmandou et, deux ans plus tard, il réussit la traversée du désert de Taklimakan, en Chine. A cette passion, il consacrera plusieurs livres, dont Fou de la marche (Robert Laffont, 1985) ou Marches et rêves (J.-C. Lattès, 1988).
Conteur boulimique, Jacques Lanzmann - frère cadet de Claude Lanzmann, l'auteur de Shoah - avait commencé à écrire à 27 ans avec La Glace est rompue (1954, réédité chez Robert Laffont en 1977) et avait connu son premier succès avec Le Rat d'Amérique (1955, repris en Folio n°327 et Pocket n°2264), adapté au cinéma par Jean-Gabriel Albicoco, où il raconte les (més) aventures largement autobiographiques d'un jeune Français en Amérique latine. Suivent, dans les années 1960, Un tyran sur le sable (Julliard, 1959), Qui vive (Denoël, 1965) et de nombreux autres ouvrages qui ne l'empêchent pas d'être également journaliste à L'Express, puis rédacteur en chef de Lui, animateur à ce qui s'appelait encore Europe nº1, etc.
INSOLENCE ET DÉRISION
C'est à cette époque, en 1965, qu'il rencontre Jacques Dutronc, attaché à la maison de disques Vogue, qui écrit en dilettante quelques titres pour des chanteurs yé-yé. Lanzmann va trouver des mots en accord avec la personnalité de Dutronc. Leur premier titre est Et moi, et moi, et moi (1966). Le texte mordant, la musique influencée du rock anglo-saxon tranchent avec les gentilles chansons de la variété : "Sept cents millions de petits Chinois/Et moi, et moi, et moi/Huit cents millions de crève-la-faim/(...) J'y pense et puis j'oublie/C'est la vie c'est la vie."
Les deux compères enchaînent les succès, qui mêlent insolence et dérision. Mini mini mini, On nous cache tout on nous dit rien, Les Playboys, Les Cactus, L'Idole, La Publicité, J'aime les filles, notamment, peuvent être aussi bien compris comme des critiques sociales que comme des pochades avec jeux de mots et paroles à double sens.
En mars 1968 sort Il est 5 heures, Paris s'éveille, coécrite avec son épouse Anne Ségalen. Le pied de nez et l'ironie sont devenus poésie. Le titre sera détourné quelques semaines plus tard par les manifestants de mai. Sans délaisser l'ironie (L'Opportuniste, L'Aventurier, Le Responsable, L'Hôtesse de l'air...), le duo Lanzmann/Dutronc mettra plus de tendresse dans ses collaborations : Amour toujours, La Seine, ou Le Petit Jardin, superbe chanson de 1972.
Tenté par le cinéma, Jacques Dutronc délaisse un peu la chanson, et la relation artistique avec Lanzmann s'effiloche à partir de 1974. En 1980, ce dernier ne signe que deux titres du dernier bon album de Dutronc, Guerre et pets (dont le nostalgique La Vie dans ton rétroviseur). Les compères se retrouveront en 2003, mais la magie n'est plus là.
Entre-temps, Jacques Lanzmann aura fait des passages dans l'édition - éditions Spéciales, Denoël, Ramsay -, produit des films, écrit des scénarios, sans jamais cesser de publier - en tout une cinquantaine de livres, parmi lesquels Hôtel Sahara (J.-C. Lattès, 1990), un dialogue sur le sacré avec Jean Guitton, Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas (J.-C. Lattès/Desclée de Brouwer, 1994), Le Voleur de hasard (J.-C. Lattès, 1992), qui est un peu le roman de sa vie, Imagine la Terre promise (Plon, 2000) ou, récemment, en collaboration avec sa dernière épouse, Florence, La Vie comme à Marrakech (Le Rocher, 2004).
En octobre sortira au Rocher la réédition d'Une histoire d'homme, récit autobiographique des années de guerre de cet arpenteur du monde qui n'aura cessé de mettre sa vie en mots et en musique.
Florence Noiville et Sylvain Siclier
Article paru dans l'édition du 24.06.06