Voici l'entrée "Lanzmann" dans "Le Dictionnaire" de Jérôme Garcin, où chaque écrivain établit sa propre notice biographique.
"LANZMANN, Jacques (1927-...)
Jacques Lanzmann est l'archétype de l'autodidacte, autrement dit « self-made man ». Aussi, a-t-il longtemps cru qu'un autodidacte était un automobiliste responsable de ses actes. De même qu'il a confondu « self-made man » et serveur de snack-bar. Cru encore — et c'est bien la preuve de son autodidacticité — qu'un handicapé moteur était un accidenté de la route, que les habitants de la Corse s'appelaient les Corsaires. Cru également en la parole des grands qui l'envoyaient chez le pharmacien acheter du « sirop de corps d'homme » (sirop de cordum). Ces mêmes grands qui lui faisaient mettre au féminin la phrase suivante : « Je bois du jus de sapin. »
Roux, juif, bègue, il eut à lutter dès sa naissance contre la terre entière, développant, de ce fait, une véritable folie de la persécution, mais également une certaine aptitude à rendre les coups reçus. Sans parler d'arts martiaux, on peut cependant parler d'artisanat pugilistique.
Marqué à la vie, à la mort par son enfance malheureuse mais ô combien enrichissante, Jacques Lanzmann n'a eu de cesse qu'il n'ait conjuré le sort en se racontant dans chacun de ses livres, donnant d'ailleurs différentes variantes de son expérience à la ferme et au maquis, ne nous épargnant aucune scène, pas même celle de son dépucelage par une vache nommée Marquise (lire Le Têtard, Qui vive!, Le Jacquiof).
A l'âge de vingt ans, Jacques Lanzmann était totalement inculte mais carrément génial. Il fut amené à fréquenter Cocteau. Eluard, Picasso, Breton, Roger Gilbert-Lecomte, Artaud, Mirô, et tant d'autres, passant à côté d'eux comme il était passé à côté des paysans, des maquisards, des collabos, des Allemands, sans rien voir ni entendre tant il se préoccupait de sauver sa propre peau. Mais peut-on dire que Lanzmann n'a subi aucune influence? Nous n'en sommes pas certains. Au sortir de la guerre, il se mit à lire pêle-mêle Lautréamont et Victor Hugo, Chateaubriand et Steinbeck, Rimbaud et William Blake, Barbusse et Faulkner, Sartre et Howard Fast, Conrad et Melville. Ce mélange détonant eut pour effet d'éveiller chez Lanzmann une vocation de peintre.
Tout en travaillant dans le bâtiment (il fallait bien assurer l'ordinaire), il plantait son chevalet du côté d'Au-vers-sur-Oise et de Pont-Aven, se prenant tour à tour pour Van Gogh et Gauguin. Il alla jusqu'à se taillader l'oreille, puis s'embarqua clandestinement pour Tahiti. Comme le bateau n'allait pas plus loin que Bastia, Lanzmann erra quelques mois en Corse d'où il gagna l'Afrique puis l'Islande (lire Les Vangau-guin). Là, il subsista en vendant des paysages d'oasis et de djebels qu'il avait ramenés de Tanger, sa dernière escale. Tanger où il partagea la maison de Jane et de Paul Bowles sans même s'apercevoir ni de leur génie, ni de leur homosexualité. Plus tard, il fut également l'ami d'Anaïs Nin, sans même savoir qui était Anaïs Nin, de même qu'il rencontra Pearl Buck et Han Suyin, sans se soucier le moins du monde de leur célébrité. C'est que Lanzmann qui se débattait comme un têtard dans la mare aux neurones donnait davantage de sa personne qu'il ne prenait des autres.
Retour d'Islande où il resta un an à se morfondre, n'osant appeler les siens à la rescousse, il laissa à son frère Claude le manuscrit de son premier livre, La glace est rompue, puis s'embarqua pour les Amériques, atteignant Buenos Aires alors qu'il croyait arriver à San Francisco. S'ensuivirent deux années d'équipée sauvage où il toucha le fond du désespoir, s'engageant comme dinamitero à la Disputadas de Las Condas, une mine de cuivre à l'altitude et aux conditions extrêmes. De son odyssée sud-américaine Lanzmann ramena son deuxième livre, Le Rat d'Amérique (1955). Paradoxe, tandis qu'il tirait le diable par la queue dans les pampas et les cordillères, dévorant la cervelle des dieux en même temps que celle des condors, Lanzmann, grâce à la sagacité de son frère, avait déjà les honneurs des Temps modernes, la considération de Sartre et de Simone de Beauvoir.
Le succès du Rat d'Amérique vaut alors à Jacques l'estime de Louis Aragon, lequel l'engage comme critique dramatique aux Lettres françaises. Du coup, Lanzmann entre au parti en même temps qu'il met les pieds au théâtre pour la première fois de sa vie. Une chance : c'était dans la cour d'honneur du palais des Papes.
Gérard Philipe y jouait Le Prince de Hambourg.
Lanzmann restera trois ans aux Lettres françaises. Trois ans de calvaire à raison d'une générale par soirée car Jacques fait de la claustrophobie sans le savoir. Il tourne de l'œil dès les trois coups frappés, défaille chaque fois qu'il est question de mort et qu'un acteur élève le ton.
Khrouchtchev sauvera Lanzmann du désastre. Après un bref séjour en U.R.S.S. sur les traces d'un Staline à peine déboussolé, Jacques ramène Cuir de Russie, un pamphlet que bien des intellectuels ne lui ont toujours pas pardonné.
Exclu du Parti, désigné du doigt comme brebis galeuse par ses amis les plus intimes, y compris son frère et les sartriens d'alors, Lanzmann entame une longue traversée du désert. Il restera sept ans sans rien écrire d'autre que des scenarii alimentaires. Il publie enfin Qui vive! en 1963, rate l'Interallié à une voix, comme il avait raté le Concourt huit ans plus tôt. Il console Philippe Rossignol comme il avait consolé René Julliard, puis crée avec Daniel Filipacchi Lui, le magazine de l'homme moderne.
Dans le même temps, il écrit soixante-dix chansons pour Dutronc, adapte Hair, achète une propriété, élève des chevaux, prend femme pour la troisième fois et fonde Les Éditions spéciales avec Jean-Claude Lattes. La même année, il se met à fréquenter les champs de courses. Décidément, il préfère le gazon au système pileux, frissonne davantage à la vue d'un pur-sang qu'à celle d'une pin-up. L'enfer du jeu, l'univers dos-toïevskien ! Tout y passe : courses, casinos, poker, accélérations cardiaques, euphories, remords.
Puis c'est la cassure, le dégoût. Lanzmann replonge dans ses racines judéo-auvergnates. Il en appelle à ses anciens patrons, paysans admirables (aujourd'hui disparus) qu'il prit longtemps comme modèles. Ne voulait-il pas devenir leur égal ? Un aussi grand paysan qu'eux?
Ce retour aux sources ramène Lanzmann à la raison. Il vend maison, terres, chevaux. Paye ses impôts, ses dettes et les pots cassés. Du jour au lendemain, finis les champs de courses, les tapis verts, les jumelés, les impairs et manques ! Coup sur coup, il publie Mémoires d'un amnésique, Les Nouveaux Territoires.
Il passe chez Laffont avec Le Têtard.
Le succès, la récompense ! Le voici admis dans le cercle des gros tirages : 950 000 exemplaires, clubs et poche confondus. Il enchaîne avec Les Transsibériennes, Tous les chemins mènent à soi (son meilleur livre), La Rue des Mamours.
Il enchaîne, mais il s'enchaîne. Les impôts lui collent à la peau, aux talons, à la plume. Il est condamné au succès sous peine de saisie, condamné à la saisie sous peine d'insuccès.
Désespéré, il part pour les terres lointaines, arpente les royaumes de l'Himalaya, les sommets andins, traverse des déserts. Pas un coin du monde où il ne cale un morceau de planète dans son sac à dos. On ne sait plus très bien si c'est l'écrivain qui marche ou le marcheur qui écrit. Cela irrite les puristes, mais ravit les lecteurs. Encore et toujours des succès: La Baleine blanche, Le Lama bleu, Le Septième Ciel, L'Age d'amour, Le Jacquiot, Fou de la marche, A l'altitude des dieux, Le Désert d'où l'on ne revient pas.
En novembre dernier, tandis qu'il tente de franchir les hautes dunes du Taklamakan, Lattes sort Café-Crime. D'un côté c'est l'exploit, la grande première. De l'autre, un sacré coup de frein: seulement 55 000 exemplaires de Café-Crime vendus en librairie.
On invoque la crise de l'édition, une écriture quelque peu hâtive, mais Lanzmann ne se décourage pas. Café-Crime n'est qu'une gentille autobiographie à peine déguisée qui déroute le lecteur. On attend autre chose de lui : des récits d'aventures, des contes à marcher tout droit, des odyssées à frémir, des épopées à se surpasser. N'est-il pas le seul écrivain de sa génération à en découdre physiquement avec la géographie et les grands espaces? Le seul à se mettre à l'écoute des peuples rares et à voir des juifs là où il y a des Incas, des Massais, des Ouighours, des Xixias, des Khitans!
Le Trésor du Taklamakan, prochain roman de Lanzmann, s'attachera à nous décrire l'itinéraire d'un vieil explorateur, personnage quasiment mythique, pris au piège des apparences. Traqué par sa biographe, laquelle sera amenée à jouer les détectives, Charles Henri Junger livrera-t-il son secret de toujours? Est-ce que ce Junger-là ne serait pas, lui aussi, une sorte de Lanzmann, jouant tour à tour de la naïveté, du mystère et du bluff? Possible: on écrit bien que ce que l'on connaît bien!
Faut-il croire l'auteur du Têtard quand il nous dit: « Jusqu'à présent je n'ai couché sur papier que des brouillons de vie. Je n'atteindrai la perfection qu'après la soixantaine » ?
Oui, on peut le croire.
Aux éditions Julliard: La glace est rompue (1954), Le Rat d'Amérique (1956), Cuir de Russie (1957), Un tyran sur le sable (1959), Les Passagers du Sidi-Brahim (1960). Aux éditions Denoël : Qui vive! (1965), Mémoires d'un amnésique (1971), Les Nouveaux Territoires (1973). Aux éditions Laffont : Le Têtard (1976), Les Transsibériennes (1978), Tous les chemins mènent à soi (1979), Rue des Mamours (1981), La Baleine blanche (1982), Fou de la marche (1985). Aux éditions Lattes: Le Lama bleu (1983), Le Septième Ciel (1984), L'Age d'amour (1986), LeJacquiot (1986), Café-Crime (1987). Aux éditions du Chêne : A l'altitude des dieux (1985)."
"Le Dictionnaire", par Jérôme Garcin, éditions François Bourin, 1989
cousine de florence son épouse je pense bien à elle & lui souhaite courage
pour tes petits
colette
Rédigé par : pierson | 22 juin 2006 à 18:46